Je sais que ce blog a une vocation culturelle, et non pas personnelle. Mais si au fil des années, j'y ai laissé un bout de moi. Aujourd'hui, j'ai besoin d'écrire. Parce que je ne sais pas parler des choses importantes, les gens me croient forte. Mais mon coeur ne sait pas parler c'est tout, il sait seulement écrire. Et mon coeur a mal. Hier, cela faisait 6 mois que mon père nous a quitté à la suite d'une très longue maladie. J'ai l'impression que ça fait plus longtemps que ça, mais en même temps j'ai l'impression que c'était hier. Hier où on a passé la nuit à l'hôpital, et qu'on est reparties à 5h du matin, moi chez moi, juste derrière le CHU, et que ma mère m'a appelé à 8h pour me dire qu'il fallait qu'on aille à l'hôpital, parce qu'il n'allait pas bien du tout, et parce qu'en fait comme je l'ai appris en arrivant là-bas il était parti à 7h10. Je me souviens avoir fait un rêve pendant ces quelques heures de sommeil, un rêve où ma mère m'appelait parce qu'elle venait de recevoir un appel de l'infirmière qui lui disait qu'il allait mieux. Et quand le téléphone a sonné je n'ai pas compris ce que ça voulait dire. Avec le recul, je pense que mon père a essayé de m'envoyer un message dans mon rêve pour que je sache qu'il va mieux et qu'il ne souffre plus. Pas très rationnel je sais, mais ça me fait du bien de penser ça.
Aujourd'hui j'ai mal, je ne me souviens plus de lui avant la maladie. Quand je pense à lui, ce que je vois c'est comment il était quand il a fait son hémorragie gastrique, rempli de sang sur sa blouse d'hôpital, et quand il m'a avoué le lendemain que pour la première fois de sa vie il avait peur. Et je n'ai rien pu faire pour le rassurer parce que moi aussi j'avais peur. Ce que je vois c'est comment il était quand ils se sont enfin décidés à le mettre sous morphine, et qu'un de ses yeux refusait de se fermer complètement, et qu'il était devenu un squelette avec seulement la peau, et qu'il ne réagissait plus à notre présence et qu'il avait la ^peau totalement glacé. Ce que je vois c'est le soulèvement de sa poitrine quand ils l'ont mis sous oxygène. Ce que je vois, c'est comment il était dans son cercueil avant de partir pour la faculté de médecine, parce qu'il a fait don de son corps à la science.
Mais aujourd'hui ce que je voudrais c'est me souvenir de lui avant que la maladie ne le touche. Quand il avait encore ses cheveux mi-longs qui n'arrivaient pas à pousser, quand il ne se tordait pas de douleur à cause des traitements de chimio. Et surtout j'aimerais qu'il sache que je l'aime et que j'espère qu'il va bien maintenant. Mon plus grand regret c'est de ne pas lui avoir dit au revoir, parce que ça faisait déjà quelques jours qu'il n'était plus vraiment là.
On me dit que le plus dur c'est la première année, et la date fatidique tous les ans. Le mois de juin est dur, parce que demain c'est l'anniversaire de ma mère et après-demain c'est leur anniversaire de mariage, et le 21 c'est la fête des pères, et ça me rend triste tous ces sites qui polluent mes boîtes mails en me rappelant que je n'ai pas de cadeau à acheter cette année pour la fête des pères.
Il s'était donné comme objectif de tenir jusqu'à son anniversaire, le 10 janvier, et il est parti avant. Il aurait pris 54 ans, il aurait eu cette année le double de mon âge à moi. C'était notre truc ça, un jour j'avais découvert que tous les 11 ans, nous étions en chiffres inversés au niveau de l'âge, c'est-à-dire que quand j'ai pris 25 ans, il a eu 52 ans, et cette année je prenais la moitié de son âge, je sais que ça l'aurait fait sourire, et qu'il aurait sûrement trouvé une petite blague à me dire.
Ce qui est dur aussi, c'est de savoir que jamais il ne verra la femme que je vais devenir, je ne saurai jamais s'il est fier de moi, ou si je le déçois, ou s'il aurait préféré que je fasse autrement pour telle ou telle chose. Il ne connaîtra jamais ses petits enfants, et je sais que ça il l'attendait un jour. Il ne sera pas là pour me conduire devant monsieur le Maire le jour de mon mariage, pour me féliciter. Mais j'ai besoin de croire qu'il est là quelque part et qu'il veille sur nous, ma mère et ma soeur et moi, et qu'il nous soutient dans nos vies, et dans nos peines, comme dans nos joies.
Au tout début, je me suis surprise à être de bonne humeur au boulot, de rire même et de faire des blagues, et j'ai beaucoup culpabiliser. Mais je sais que ça ne veut pas dire que je ne souffre pas, parce que je souffre, et je sais aussi qu'il ne serait pas content de me voir pleurer. Pendant toutes ces années, il a toujours dit qu'il allait bien, et il a continué à rire malgré la douleur pour qu'on ne s'inquiète pas. Aujourd'hui je me dois de lui rendre la pareille, et de faire en sorte qu'il ne s'inquiète pas pour moi. Je suis forte, mais parfois je suis faible, comme aujourd'hui.
Je veux qu'il sache, qu'il est toujours dans mon coeur, que je porte la gourmette que nenette et moi lui avons offert l'année dernière pour la fête des pères. Je veux qu'il sache aussi qu'on se sert les coudes toutes les 3 et avec Aurore aussi. Et qu'on pense toujours à lui, et qu'il ne nous quittera jamais.
Pour ceux qui ont eu le courage de lire, je suis désolée de raconter ma vie comme ça ici, à des inconnus, mais vraiment je me sens mieux maintenant, d'avoir déballer tout ça, toutes ces choses que je garde enfouie depuis des mois.